- Un article de Benard Viart
Les chasseurs de têtes ou l'Art de l'inutile
Bulletin de l'Association Les Amis de Charles Cros
et de l'Histoire de la Machine Parlante (mai 1978)
S’il est un ravissement pour le collectionneur, c’est bien les diaphragmes dont il s’agit. Curieux petits objets dans le plus pur style Art Nouveau, richement décorés, de mille symboles évocateurs, laurier, chêne, soleil, étoile, gladiateur ou troubadour, finement exécutés et moulés en ébonite, souvent rehaussés de petits motifs en laiton sertis, ils sont un délice pour l’œil en même temps qu’une manifestation typique du goût français. En effet, imagine-t-on des reproducteurs Edison décorés de volutes, d’entrelacs, de feuilles de filets, de perles ou de personnages ? Impensable ! Aux yeux des Anglo-Saxons, ces petites « choses » françaises ne devaient assurément pas « faire très sérieux ». C’est tout cela l’art de vivre et de créer : une certaine manière d’ajouter un peu de naïveté et de poésie à un instrument scientifique. Un certain individualisme qui refuse de se plier aux lois économiques de la production de masse industrielle, bref un anachronisme ! Mais quel bonheur cette perte de temps…
A croire les publicités dithyrambiques de l’époque, il en est d’excellents et il en est de bien médiocres. Que croire, qui croire ? Pour l’amateur averti qui a longuement testé toutes les possibilités, il y a plusieurs facteurs déterminants – la nature de la membrane (dôme, araignée, coupelle), la fixation de la membrane sur le diaphragme (cire, anneau vissant, joint caoutchouc ou joint papier etc…) le diamètre de la membrane vibrante (de 35 mm à 66 mm), le volume de la chambre de compression (c'est-à-dire la distance qui sépare la membrane du fond du diaphragme), le type de sortie des vibrations (orifice dans l’axe de la membrane, perpendiculaire ou oblique par rapport à la membrane), et le poids du diaphragme.
Si j’ai bien compté cela fait donc 7 facteurs déterminants… On comprend donc qu’il y ait matière à gloser. Si l’on se fie à ses propres expériences, et à ses tâtonnements, on voit tout de suite que certains diaphragmes sont incomparablement supérieurs à d’autres et cette modeste expérimentation permet de dégager quelques aspects déterminants dans la qualité de la reproduction :
- le diamètre semble idéal autour de 55 mm. Plus petit, la sonorité est nasillarde, plus grand, les sons aigus sont pratiquement inexistants et il se produit un phénomène acoustique d’auto-résonance qui assourdit le son dans une sorte d’écho.
- le montage à la cire ou anneau vissant donnent les meilleurs résultats à cause de la souplesse de la liaison.
- Les dômes ou araignées peu importantes sont les plus fidèles ; En effet, une araignée trop importante prend ses attaches trop près du bord de la membrane et nuit au volume sonore.
- Un diaphragme trop léger manque d’inertie et sautille sur le sillon avec un fâcheux effet de crécelle (d’où les contre- poids).
- La chambre de compression doit être faible pour augmenter le volume sonore à la sortie. 1 mm est quelquefois excessif entre la membrane et le fond du diaphragme.
- Le verre mince (0,3 mm) donne les meilleurs résultats pour un diamètre supérieur à 50 mm. Le mica manque un peu de nervosité si le saphir n’est pas monté sur un bras de levier afin d’augmenter l’amplitude des vibrations.
Cet accessoire est donc, comme son nom ne l’indique pas, tout à fait essentiel et avec un bon diaphragme on a toujours un bon phonographe.
Quelques maisons spécialisées de Paris ont donc fabriqué ces précieux objets avec une unité de style et de réalisation qui montre que l’immense majorité de ces pièces sortaient en fait de chez le même fabricant.
Cette pièce servait à l’origine à différencier les vendeurs du même type d’appareils qui pouvaient ainsi donner un nom différent aux éternels « Coq », « Aiglon », « Graphophone » et consorts…
J’ai moi-même recensé plus de trente marques différentes que j’ai classifiées dans le tableau que vous trouverez en annexe.
Bien sûr cette liste est sûrement loin d’être exhaustive et si vous découvrez de nouvelles marques, ne manquez pas de m’en faire part pour compléter ce tableau, en indiquant ses caractéristiques et en joignant, si possible une photo ou un frottis.
On pourrait terminer en forme de banc d’essais comme dans les revues de consommateurs, encore qu’il s’agisse là d’une conclusion toute personnelle : 1er prix : diaphragme Pathé Rex à anneau vissant et diaphragme « Le sonore » de chez A. Combret.
Alors, s’il vous plait : pas d’anathème, pas d’excommunication, pas d’injures, pas de sarcasmes.
Il est possible que vous découvriez des diaphragmes encore meilleurs. Ce bulletin est là pour que vous y répondiez… Alors, ne vous gênez pas !
Diaphragmes et reproducteurs français
Marque Diamètre Colibri [en] 35 mm Polyglotte [en] - Troubadour n° 1 [en] - Pathé Coq [en ou er] 40 mm Polyglotte Intermédiaire [en]- Herkules [en] - le Bengali [en] - Pathe Intermédiaire [en]- le Mousquetaire Intermédiaire [en] 45 mm Lutin [en] 47 mm Koh I Noor [en]- HL (Lioret) [en] 50 mm Pathé "Rex" [en] - le Cahit [en] - Styx [en] - Maestro [en] - Lamazière [en] - Troubadour n° 2 [en] - ; Dutreih [en] - Victoria [en] - l'Incomparable [ln] - le Phonet (Bettini) [ev]- le Français [ln]- Phénix [al] 55 mm Etoile [en] - Troubadour n° 3 [en] - le Mélodieux [en] - Phébus [en] 56 mm Le Français Cannevel [en] 58 mm Orphée [en] 58 mm Gladiator [en] - Troubadour n° 4 [en] - le Sonore Combret [en] 66 mm Lioret [ln ou al] 78 mm Parmi les inclassables : le micro-reproducteur Bettini et le système "Bettini" de chez Pathé caractéristique par la possibilité de tendre plus ou moins la membrane en aluminium mince.
Parmi les inconnus (pour l'instant ..) le Réal, l'Enchanteur, l'Extra, M.F., la Mascotte, la Fauvette, le Soleil, et et ... les autres que nous allons découvrir.
Code :
en : ebonite noire
er : ebonite rouge
ev : ebonite verte
ln : laiton nickelé
al : Aluminium